Il n’y a rien de plus satisfaisant que d’entendre des phrases comme « Vas-y, revanche ! », « Le jeu est cool, on dirait un jeu trouvable dans le commerce. » ou « J’ai eu de très bons échos de ton jeu au festival ». Mais pour arriver à ce stade, il faut faire preuve de patience et de beaucoup de travail pour créer un prototype attractif.
Créer un jeu n’est pas une tâche facile, surtout dans un marché saturé avec des centaines de sorties chaque année. Transformer une simple idée en un prototype jouable qui plaît au public est déjà en soi une sacrée aventure.
J’entame donc cette une série en plusieurs articles destiné en premier lieu aux auteurs amateurs, comme moi, qui cherchent quelques conseils pour accélérer la création de leur prototype de jeu et éviter les erreurs dans lesquelles je suis moi-même parfois tombé. Cela reste toutefois une expérience très personnelle. Si d’autres auteurs ou professionnels du monde du jeu passaient par là, leurs remarques dans les commentaires sont les bienvenues.
Connaître ses classiques
Je crée des jeux de société pour le plaisir depuis que je suis gamin (une version plateau du jeu vidéo advance wars et une adaptation de la bonne paye). Mais c’est vraiment fin 2008 que cette passion a pris un autre tournant quand je rejoins la Ligue des Rôlistes Extraordinaires qui deviendra par la suite la Ligue des Vannetais Ludiques. Grâce à cette association, j’ai pu découvrir plus de 500 jeux différents sur plus de 10 ans. Une goutte parmi le vaste océan ludique qui compte entre 700 et 1000 sorties par an.
Je pense qu’un auteur de jeu doit être un joueur à la manière d’un écrivain qui est aussi un lecteur. Bien sûr, il peut y avoir des exceptions, mais il est plus simple de comprendre les mécaniques de jeu et les interactions en pratiquant. Cela vous permettra de :
La nécessité de suivre l’actualité ludique
Au vu du nombre de sorties par an, il est impossible de jouer à tout. C’est pourquoi en tant qu’auteur de jeux, il est nécessaire de maintenir une veille ludique. Voici quelques références qui pourront peut-être vous intéresser :
Si vous préférez les vidéos sur YouTube, voici quelques chaînes à explorer :
Embuscade et Renaissance
Nous sommes en février 2020, je fais tester un petit prototype avec des cartes et des jetons qui tourne plutôt bien, du nom d’Influenza. On joue dans une ambiance intrigues de pouvoir dans la Renaissance italienne. Avec des combinaisons de pouvoirs liées des cartes personnages. On peut jouer des cartes face visible ou face cachée. Gagner et perdre de l’influence et des pièces d’or. Le jeu manque un peu de rythme mais pour mes premiers testeurs, je tiens peut-être quelque chose. Je suis très enthousiaste.
Mais alors que je suis sur mon petit nuage, une nouvelle vient bouleverser mes plans : « Oriflamme » remporte l’As d’or Grand Public 2020 à Cannes ». Je me rends compte que mon jeu à beaucoup de similitudes mais fait pâle figure en comparaison. Oriflamme a mis la barre haute, très haute.
Alors, au lieu de recréer ce qui existe déjà, je décide de prendre une petite pause. Finalement, après quelques mois, je reprends ma lecture des « Annales de la Compagnie Noire », l’excellente série dark fantasy de Glen Cook. Les protagonistes y jouent au Tonk, un jeu anglo-saxon de la famille du Rami. L’auteur y présente une variante à laquelle s’adonnent régulièrement ses protagonistes. Le mécanisme principal de ce jeu est que si un joueur pense avoir le plus petit total de cartes en main il peut décider de tomber. Les autres joueurs doivent alors révéler leurs cartes.
Un de mes amis m’avait également présenter un jeu le Dumble et reprenant également ce mécanisme comme le Yanniv, un jeu israélien. La passion du jeu reprends le dessus et je décide donc de créer un jeu inspiré de cette mécanique en reprenant mon idée précédente, un jeu de cartes avec des personnages dans la Renaissance Italienne qui s’appelle toujours Influenza.
Game Design et cœur de cible
Les 3 écoles
J’ai eu de la chance, j’ai trouvé l’inspiration grâce à un livre lorsque je n’avais pas d’idées pour mes précédents prototypes, je me fixais une contrainte. Il existe généralement 3 approches pour ça que l’on peut mixer ensemble.
La contrainte mécanique : on peut essayer d’implémenter une mécanique ou un ensemble de mécaniques pour créer un jeu avec cette petite touche d’originalité en plus. Par exemple, le jeu Dune: Imperium mélange extrêmement bien le deckbuilding et le placement d’ouvriers. Ici, le thème est généralement secondaire. On pourrait remplacer l’exploration d’une planète alien par l’exploration d’une île au lapin que le jeu peut fonctionner tout aussi bien. Bien évidemment trouver un thème qui colle avec la mécanique serait un plus. Mais on voit de plus en plus de jeux abstraits avoir du succès ces dernières années : Skyjo, The Mind, Trio, etc.
La contrainte thématique : on part d’un thème, d’un univers d’une histoire pour raconter le jeu. Cette approche rencontre un franc succès depuis plusieurs années grâce aux jeux d’enquêtes et aux jeux narratifs : T.I.M.E Stories, 7th continent, Pour la Reine, Gloomhaven, Cartaventura, Alice is Missing, etc.
La contrainte matériel : certains auteurs vont puiser leur inspiration dans le matériel inhabituel. Des tubes à essais pour Dr EUREKA ou bien des aimants pour le jeu Kluster. Lorsque vous partez sur cette contrainte, ayez à l’esprit que les coûts de production de votre jeu seront peut-être plus élevés mais votre jeu aura également peut-être plus de chance de marquer les esprits. Cependant vous pouvez simplement partir sur des contraintes plus basiques comme je vais créer un jeu avec seulement X cartes ou X pions.
En quoi le Game Design est important ?
Est-il vraiment utile d’avoir des notions de Game Design ? Pas nécessairement. Cependant, je m’y intéresse car certaines notions m’ont parfois fait gagner beaucoup de temps et je peux les avoir à l’esprit quand je conçois ou fait tester mon prototype, si je repère des faiblesses. Je citerai 3 articles sur lesquels je reviens assez souvent car bien qu’ils soient assez courts, ils m’ont apporté beaucoup :
« Un bon archer atteint sa cible avant même d’avoir tiré. » Zhao Buzhi
Je m’intéresse un peu au marketing et un leitmotiv revient souvent, il faut trouver sa niche. C’est-à-dire un segment de marché spécifique et bien défini. Cela pourrait être les jeux semi-coopératif avec des traîtres ou les jeux pour enfants basés sur les contes de fées. Je pense que c’est une bonne approche pour essayer de se démarquer, notamment lorsqu’on a pas encore de jeu publié.
Cheese Mafia se voulait d’abord un jeu familial+ pas trop compliqué, mais je n’avais aucune idée de mon cœur de cible. Puis à force de playtest, j’ai remarqué que le jeu se jouait très bien avec les adolescents et jeunes adultes amateurs de jeux de type « Et paf dans tes dents ! » Le jeu marche également très bien avec d’autres joueurs mais je trouve que c’est avec ce public que Cheese Mafia fonctionne à son plein potentiel. D’où le choix du thème.
La typologie de Bartle
En 1996, Richard Bartle établit une typologie des joueurs de jeux vidéos mais elle peut également s’appliquer aux joueurs de jeux de société.
Les Achievers ou accumulateurs cherchent à construire, collectionner, se développer et se fixer des objectifs.
Mécanismes et jeux associés : rassembler des éléments, construire des bâtiments, améliorer ses capacités ou technologies, objectifs à court et long termes, missions ou objectifs secrets, défis et énigmes, les jeux à moteurs, deckbuilding, jeux de gestion et de ressources.
Les killers ou compétiteurs aiment attaquer, batailler et nuire aux autres joueurs. Ils aiment les défis et gagner.
Mécanismes ludiques associés : Bluff, Contrôle de territoires, élimination de joueurs, jeux à fortes interactions, alliances et trahisons, avoir le contrôle sur la fin de partie, limiter le hasard, pouvoir connaître son classement en cours de partie.
Les Explorers souhaitent découvrir, le jeu et son univers, avoir des surprises, découvrir des secrets.
Mécanismes et jeux associés : explorer une carte, des zones, des territoires, les jeux avec des histoires riches et des choix narratifs, les jeux qui permettent d’explorer différentes stratégies vers la victoire, éléments cachés ou secrets comme les jeux legacy, les jeux qui offrent des configurations variés avec des systèmes modulaires.
Les Socializers ou communiquants aiment parler, échanger, interagir avec les autres joueurs.
Mécanismes et jeux associés : alliance, bluff et déduction, coopération, commerce, négociation, jeux d’ambiance, jeux d’équipe, jeux d’imitation ou de mime, jeux narratifs, jeux de rôle.
Les Jokers : ne font pas partie de la typologie de Bartle mais dans le monde du jeu de société, ils sont ceux qui aiment le chaos et le hasard.
Mécanismes et jeux associés : utilisation de dés, de cartes, d’évènements aléatoires ou semi-aléatoires (L’année du dragon, cartes crossroad à Dead of Winter. Utilisation du « Et paf dans tes dents ! », mécanique de bluff, d’enchères ou de paris, changement de rôle, retournement de situations et coup de théâtre. Ainsi que des jeux avec un hasard que l’on peut pondérer.
Les joueurs peuvent venir chercher des choses complètement différentes mais sont souvent un mélange de plusieurs types. Ainsi plus un jeu aura d’éléments de chaque type plus il pourra remporter l’adhésion d’un large public (Catane, 7 Wonders). On peut toutefois aussi prendre le contrepied et se lancer à corps perdu dans un ou deux profils. Par exemple, Codenames est un jeu où les joueurs doivent deviner les mots de leur équipe à partir d’indices donnés par un « maître-espion ». Un jeu 100% fait pour les Socializers. Cela peut vous aider à promouvoir votre jeu auprès des éditeurs car vous avez un profil de joueur clairement établi.
Rendez-vous au prochain numéro…
Cette première partie, loin d’être une parole d’évangile, reflète simplement ma vision des choses. N’hésitez pas à apporter votre pierre à l’édifice dans les commentaires. La prochaine partie traitera de la conception des prototypes et potentiellement des premiers playtests.